LE VÉGÉTAL COMME OUTIL

LE JARDIN DE PLUIE

Article extrait de la Lettre N°16 (Novembre 2020) - > Retrouvez l'article et ses nombreuses illustrations 

- Infiltration, transpiration

- Rétention, ancrage

- Epuration, abri

- Quelle valeur pour ces services ? 

- Pluie sur la ville 

- Mares en réseaux 

- Jardins de pluie

- Comment? Quels ingrédients? Dans quel ordre? 

 

 

Infiltration, rétention, transpiration, ancrage, épuration, abri, etc.

Stocker les eaux de pluie au plus près de leur chute, ralentir leur écoulement et faciliter leur infiltration permet de réduire les risques de crue, d’en limiter la gravité mais aussi de réduire les aménage-ments de toutes sortes nécessaires à leur canalisation. Le végétal, l’arbre, les boisements font partie des solutions retenues. Quelle est leur efficacité ? Quels paramètres prendre en compte pour la mesurer ? Voici quelques notions pour orienter les choix.

 

Infiltration, transpiration

Des études menées pour mesurer la part d’eau captée par les arbres montrent que ce que l’on nomme égouttement (l’eau retenue à la surface des feuilles lors d’une pluie) est estimé entre 50 et 80% du volume tombé. La valeur la plus fréquemment observée se situe autour de 70 %. A cela s’ajoute la part s’écoulant le long du tronc, évaluée à 5 %. Ainsi, 75 % de l’eau tombée se trouve captée puis restituée progressivement au sol ou évaporée à la sur-face du tronc et des feuilles (évaporation conditionnée par une multiplicité de facteurs : température, durée de la pluie, structure du feuillage, etc.). « La couverture arborée modifie la répartition des pluies au sol, avec une partie non négligeable écoulée le long des troncs qui s’infiltre rapidement le long des racines ». A noter que l’influence de la végétation sur l’infiltration et la rétention d’eau des sols sont liées en très grande partie au taux de matière organique sur/et dans le sol et au développement racinaire. Pour ce qui concerne la transpiration, elle peut varier de quelques mètres cubes/jour par hectare de boisements jusqu’à une cinquantaine. Elle est variable suivant les étages de végétation, (200 à 300 %de différence entre sous-étage et canopée, sous certaines condi-tions de sécheresse) et augmente avec l’âge. 

 

Rétention, ancrage

Suite à une intense activité biologique, une forte production orga-nique et une colonisation racinaire importante, un arbre adulte modi-fie fortement les caractéristiques hydrauliques des sols. Les racines vivantes constituent un chevelu très ramifié, utilisé notamment par les écoulements d’eau le long des troncs. Même après abattage, les cavités laissées après la mort et le pourrissement des racines génè-rent une grande porosité qui se maintient pendant des années. Elles forment un réseau souterrain participant fortement au stockage de l’eau, à sa circulation horizontale, avec une vitesse bien moindre que celle des eaux de surface dont elle permet une diminution de volume. Ces deux caractéristiques cumulent leurs effets bénéfiques quand augmentent les risques de crue. Ces effets n’ont d’importance que sur des sols peu filtrants et de faible profondeur. Des sols per-méables et profonds ont un comportement hydraulique à peu près identiques avec ou sans arbre. Si l’on évoque le cas particulier des mouvements de sol liés à des teneurs en eau trop forte (coulées de boues par exemple), la nature des terrains importe peu ; dans tous les cas la présence d’arbres permet de réduire radicalement les impacts. Les systèmes racinaires assurent un rôle d’ancrage avec une augmentation de la cohésion des couches de sol superficielles.

 

Epuration, abri

Le rôle d’épuration a pu être mesuré pour les nitrates mais aussi pour le potassium, le phosphate, etc. Cette capacité d’autoépuration peut dépasser 90 % pour les nitrates. Enfin, les poissons aiment les arbres, qui signifient fixation des berges, ombrage, création d’abris, abaissement ponctuel des températures, apports de matière orga-nique, diversité des milieux, etc.

 

Quelle valeur pour ces services ? 

On constate que dans les argumentaires de plantation, les services rendus par l’arbre ne sont pratiquement jamais développés, évalués. Pourtant, même en restant très approximatif, ces services pourraient donner lieu à des chiffrages conséquents. Si on est capable de mesurer la fraction d’eau retenue par les feuilles d’un arbre, on doit pouvoir mesurer le rendement global à moyen et long terme des investisse-ments consentis. L’environnement est constitué de formes vivantes qui rentrent dans des équations qu’il faut construire à partir de don-nées existantes ou à estimer : coûts d’investissements et de suivi, rendement actuel et prévisible du foncier mobilisé, prix de vente des bois produits, sans oublier les économies en réseau d’assainissement et les sinistres évités. Quel rendement, quel gain en fin de parcours ?

 

Pluie sur la ville

L’histoire de l’eau pluviale dans les centres-ville est faite de diva-gations, inondations, disparitions, réapparitions, canalisations, etc. D’abord, c’est toute la largeur de la rue, sans trottoir ni caniveau qui sert d’égout et d’exutoire aux eaux de pluie. Très tardivement, au XIXesiècle, en même temps que les trottoirs, les canalisations se généralisent. Au XXesiècle, les volumes d’eau recueillis gonflent à mesure que le bitume recouvre les surfaces en terre battue, que s’étendent les surfaces de stationnement, que disparaissent les jardins. Pour améliorer le dispositif, apparaissent les bassins de rétention, toujours en eau, qui ont structuré pendant des décennies les paysages urbains des villes nouvelles. 
Certains quartiers ont été dessinés sur le modèle hollandais, avec un habitat en bande en bordure de canaux. Des canaux qui servent d’exutoires aux eaux de pluie et assurent en même temps une fonc-tion de drainage, à l’image des douves en eau entourant certaines fermes. Ces quartiers ont acquis une sorte de valeur patrimoniale méritant d’être reconnue, comme celui de Plessis-le-Roi à Savigny-le-temple. 
Aujourd’hui, pour des raisons de coût et d’environnement, on déve-loppe tout ce qui permet à l’eau de s’évaporer ou de s’infiltrer le plus vite possible pour la stocker un minimum de temps. Les toitures végétalisées fournissent une partie de la réponse. Pour favoriser l’infiltration toute une catégorie d’aménagements sont mis en place : des noues, des fossés, des bassins secs, des « jardins de pluie », etc. Leur qualité paysagère fait apparaître l’eau comme naturelle-ment insérée au cadre bâti. Mais, qualitatifs ou pas, ces aménagements prennent de la place, concurrencent d’autres fonctions dans des périmètres où les mètres carrés d’espaces publics sont comptés. Des surfaces en creux et en bosses sont beaucoup plus contrai-gnantes dans leur utilisation que des places parfaitement planes. Des fossés plantés viennent séparer des fonctions ; exemple fréquemment rencontré, lorsque ces fossés s’insèrent entre trottoir et bande de stationnement. L’objectif environnemental vient réduire l’accessibilité. De la vigilance et des arbitrages doivent accompagner toutes les étapes de la conception pour éviter ces dysfonctionnements qu’un jour il faudra bien corriger. Ainsi, la pluie sera toujours une contrainte majeure dans le dessin de la ville et, dans le même temps, source d’inspiration pour renouveler les espaces publics et les formes construites qui les bordent. 

Mares en réseaux

Les mares sont apparues depuis plusieurs décennies comme le sym-bole même d’un jardinage plus naturel. Une très belle photo de mare fait la couverture d’un des premiers ouvrages de vulgarisation de ces nouvelles pratiques (1). Depuis, les publications, les sites internet spécialisés se sont multipliés. Ainsi le savoir-faire utile pour réaliser et entretenir une mare s’est accru et précisé. Mais de nombreuses questions ne peuvent pas être traitées dans ces documents, notamment celle des contextes locaux. Les problèmes de drainage en Seine-et-Marne ont été résolus dès le début de l’agriculture par la création d’un réseau très étendu de fossés et de mares. Quelques unes conti-nuent de ponctuer certains paysages de plateau. L’abandon de l’en-tretien de la végétation qui les borde, des saules devenus immenses, fait croire à la présence de bosquets, comme des îles au milieu des plaines agricoles. Ces reliques, qui ont démontré leur efficacité et leur longévité, peuvent servir de référence aux projets d’assainisse-ment, en modifiant certaines de leurs caractéristiques pour optimiser des objectifs de biodiversité. La question peut même être posée : en combinant différents efforts (réduction des surfaces imperméabili-sés, développement des jardins de pluie, toitures végétalisées, etc.), ne pourrait-on pas retrouver, pour certains types d’urbanisations, un assainissement pluvial organisé en totalité à partir d’un réseau de fossés et de mares, petites et grandes ? Et grâce à cela, comme il y a quelques millénaires, éviter d’avoir les pieds dans l’eau dès les premiers orages et être au sec sans pompes de relevage ? Revoir des paysages de mares ? (1) Le jardin naturel, Atlas visuel Payot, Lausanne, 1985

 

Jardins de pluie 

Parmi les aménagements permettant le stockage et l’infiltration des eaux de pluie dans un jardin (que certains auteurs regroupent sous le nom de « jardins de pluie »), on listera la création de bas-sins, mares, fossés de tous types, raccordées à toutes les descentes d’eau de toitures, et la plantation de végétaux spécifiques aux milieux humides. La localisation et la forme de ces zones de réten-tion et d’infiltration est à adapter au site et au type de sol qui détermineront le volume potentiel pouvant être traité. On pourrait imaginer des jardins dont 100 % de la surface serait dédié à cet objectif, les autres occupations du sol étant supprimées (chemi-nements, terrasses, massifs de fleurs, etc.). Cet objectif n’aurait pas beaucoup de sens sauf dans des cas très particuliers. Le calcul du potentiel de stockage d’eau doit avant tout intégrer les solutions mixtes de superposition de fonctions. Ainsi les terrasses, les che-minements peuvent être implantés sur de fortes épaisseurs de matériaux très drainants (sable, pierre). Les massifs de fleurs, les zones d’arbustes peuvent être réalisées avec des essences pour sols frais à humide, voire hydromorphe (*). En cumulant ces dis-positifs on parvient à maximaliser le stockage de l’eau, rendant inutile tout autre dispositif à l’échelle d’une parcelle, d’un lotis-sement. Cet objectif pourrait facilement être atteint grâce aux toits végétalisés. 
Dans le cas de sols en pente, de nappes phréatiques trop proches de la surface, des talus peuvent être construits et plantés, comme de petites digues retenant le temps nécessaire les eaux à infiltrer. Une telle conception nécessite un plan d’ensemble préalable, ce qui est rarement le cas pour les jardins individuels réalisés la plu-part du temps en étapes successives et pas forcément liées entre elles (terrassement, travaux de maçonnerie divers comme terrasses, escaliers, allées, bassins, plantations, etc.). La difficulté majeure de la démarche réside donc dans cette nécessité de conception d’ensemble. C’est ce que le professionnel peut apporter, évitant les erreurs impossibles à corriger ensuite. Pour la gestion, on notera que le potentiel de stockage de l’eau ne peut être maintenu sur le long terme qu’en l’absence de colmatage progressif des vides dans les matériaux et volumes «réservoirs». Pour le conserver il y a tout intérêt à bien séparer les matériaux en présence (sable/argile par exemple) avec la mise en place de non tissés. Les bassins, mares et fossés seront régulièrement curés et les matériaux récupérés ser-viront à exhausser les talus et toutes les zones surélevées. 

 

Comment ? Quels ingrédients ? Dans quel ordre ? 

 

Commencer comme pour tout autre jardin en soignant les terrassements et la préparation du sol. A l’emplacement des cheminements, des surfaces de terrasses, etc. mettre des matériaux très drainants, (cailloux, tuiles cassées, etc.) disposés en couche épaisse de fondation. 
Creuser des fossés, une mare, les raccorder aux descentes d’eau pluviale des toits. Pour ceux qui aiment les défis et les reconstitu-tions historiques, essayer de perfectionner la technique gauloise de fagots de bois insérés les uns dans les autres et disposés dans certains fossés. Ces fossés peuvent être  comblés avec un mélange terre-pierre par exemple, facile à retirer pour renouveler les fagots-drains si nécessaire. 
Réaliser quelques talus servant à bloquer l’eau dans les zones en pente, en utilisant les matériaux provenant des déblais. 
Planter des arbres à tailler en têtard, des massifs d’arbres ou d’ar-bustes dans les fonds humides qui seront recépés régulièrement. Disposer les produits de taille en mulch au pied des plantations, parallèlement aux courbes de niveau dans les pentes. 
Laisser faire la nature partout où c’est possible. 
Attendre, observer, noter ses observations, faire des photos et faire connaître. 
Lors des épisodes pluvieux prolongés, observer si les fossés et la mare sont saturés, s’il y a maintien de flaques d’eau importantes. Si c’est le cas, compléter les aménagements par l’élargissement et l’approfondissement de certains fossés, l’agrandissement de la mare, et par de nouvelles plantations. (*) L’hydromorphie appelée aussi hydromorphisme, est la qualité d'un sol qui montre des marques physiques de saturation régulière en eau, généralement durant l’hiver.

L’hydromorphie occasionne l’asphyxie de la microfaune et de la microflore. La végétation caractéristique des zones hydromorphes se compose de roseaux et de phragmites. Une coupe dans le sol ou un sondage met en évidence des caractéristiques précises de l’hydromor-phie : les taches de rouille correspondent au fer à l’état oxydé (le sol n’est pas saturé en eau mais est susceptible d’en contenir. On se trouve en période sèche. Il y a présence d'une nappe qui remonte périodiquement). Des taches bleu-gris à vertes correspondent au fer à l’état réduit (le sol est saturé en eau, en condition anoxique - sans oxygène -). On se trouve en période humide ou en présence d'une nappe permanente. (source wikipédia).

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INFORMATIONS

 

 

« La terre les eaux va boivant, L’arbre la boit par sa racine, La mer salée boit le vent, Et le soleil boit la marine... »

Ronsart 

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L’arbre taillé en têtard, la trogne, l’arbre-paysan

S’il y a une forme d’arbre exprimant parfaitement une ruralité ancienne, c’est bien elle. On ne sait quand elle est apparue, sans doute en même temps que l’agriculture. Un chêne de plus de 1300 ans trouvé en Angleterre possède encore un tronc court et exces-sivement large avec des émondes n’ayant pas été taillées depuis quelques siècles. Cette gestion pouvait s’appliquer à toutes sortes d’essences.

Pour les arbres de bord de rivières, de mares, il s’agis-sait surtout de saules, aulnes, frênes. Ils fournissaient du bois et du feuillage utilisés à la fin de l’été pour l’alimentation du bétail. Les tailles étaient très codifiées et les baux précisaient leur fré-quence, différentes suivant les régions. « En Ille-et-Vilaine, la taille ne se faisait plus sur les sujets ayant dépassé la limite de temps prescrite par l’usage : l’arbre alors pouvait en souffrir. (…) L’usage prescrit la date de l’émondage et précise la destination du bois récolté, entre le fermier et le propriétaire, qui se réserve les émondes âgées de 10 ans et plus, ainsi que le tronc ; le fermier a le droit aux émondes de moins de 10 ans » (*).

De ce passé il ne reste en Seine-et-Marne qu’un patrimoine en voie de disparition. L’exemple du chêne anglais  montre qu’il est possible et utile de prolonger au maximum la vie de ces arbres qui peuvent être regar-dés comme remarquables quel que soit leur âge. L’intérêt histo-rique, économique et écologique de cette taille plaide pour qu’elle soit remise en pratique partout où c’est possible, et notamment près des surfaces en eau. Elle y est particulièrement adaptée car grâce à leur houppier réduit et leur faible prise au vent, ces arbres assurent une bonne tenue des berges sans risques de basculement et ils ne donnent qu’un faible ombrage. Un savoir-faire propre aux essences et aux caractéristiques locales est à réinventer.

Pour en savoir plus voir, sur le site du CAUE77, la fiche concernant la taille en têtard (définition, comment former un têtard, la taille d’entretien, la taille des têtards abandonnés, adresses utiles, bibliographie).
(*) Yves Luginbuhl, Des haies dans le paysage, rapport d’études pour la mission du paysage, juin 1989.

 

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« On peut diviser en plusieurs classes toutes les eaux qui servent aux jardins. On sait qu’elles viennent de sources naturelles, de ruisseaux, ou de machines qui les élèvent des rivières, des puits ou des citernes. Ces eaux se distinguent en eaux naturelles, artificielles, courantes, plates, jaillissantes, forcées, vives, dormantes, folles, eaux de pluie ou de ravine. (…) En Brie et en plusieurs autres endroits on met en usage un certain sable gras délayé avec de la chaux, lequel dure dans l’eau, et l’on pave les bassins de brique et de carreaux. Les hollandais ont coûtume de faire des bassins de bois un peu épais goudronnés en dedans et peints en dehors. (…) Quand les bassins passent une certaine grandeur, on les appelle pièces d’eau, canaux, miroirs, viviers, étangs et réservoirs. (...) On peut pratiquer des bassins dans les bosquets, 
et c’est un double agrément ; les eaux y sont comme dans leur centre, la verdure des arbres leur sert de fond et fait valoir la blancheur de l’eau ; leur gazouillement et leur murmure frappent davantage l’oreille par le repos et l’écho qui régnent dans ces lieux. »

Dezallier D’Argenville, la théorie et la pratique du jardinage, traité d’hydraulique convenable aux jardins, 1709

 

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Excès d’eau depuis toujours : le drainage à l’époque gauloise 

« Les premiers systèmes de drainage creusés à l’époque gauloise étaient à ciel ouvert : des réseaux de fossés et des mares per-mettaient d’éliminer les excès d’eau dans les terrains de cultures mais aussi dans ceux réservés à l’élevage et aux habitations. Les fossés, rectilignes pour la plupart, étaient régulièrement entre-tenus. Puis les techniques ont évolué vers l’enterrement des drains : tranchées remplies d’une couche de pierraille, fagots de brindilles disposés dans le sens longitudinal au fond d’une tran-chée et couverts de terre, ouvrages maçonnés en pierres ou en tuiles, canalisations en bois, en céramique, en fonte ou en acier. »

Pas si nouvelles que ça, livret d'exposition, Édition de l'écomusée de Savigny-le-Temple, 2007. 

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