PAYSAGES DE MÉMOIRE EN SEINE-ET-MARNE

11 NOVEMBRE 2018, CENTENAIRE DE L'ARMISTICE DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

Un siècle que s’est achevée la première guerre mondiale. Elle a laissé de nombreuses traces en Seine-et-Marne, qui constituent des espaces de mémoires. Le département voit le développement d'un tourisme de mémoire, répondant à de forts enjeux économique et pédagogique.

 

Les faits, les enjeux Un siècle que s’est achevée la première guerre mondiale.

Elle a laissé de nombreuses traces en Seine-et-Marne. Des combats que l’on commémore sous le nom de bataille de la Marne. Dès l’immédiat après-guerre un tourisme de mémoire s’y est développé. Le Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux, inauguré le 11 novembre 2011, en marque une étape, une relance majeure. L’importance des événements, leurs conséquences, rappelée avec ce centenaire, mérite un effort accru de connaissance. Le développement du tourisme de mémoire en Seine-et-Marne permet de répondre à de forts enjeux économique et pédagogique.

 

Septembre 1914, les batailles de l’Ourcq et de la Marne : la défaite évitée in extremis.

On le mesure parfaitement aujourd’hui, la victoire de la Marne, c’est le retournement d’une tragédie qui paraissait écrite. Des batailles perdues suivies d’une épouvantable retraite : « Bientôt il ne se présente plus qu’une cohue d’hommes et de chevaux, écrasés par la chaleur, en proie aux tortures de la faim et de la soif. Est-il raisonnable d’espérer qu’une armée réduite à cet état de fatigue et de désespoir puisse un jour retrouver sa valeur combative ? (…) La retraite, épreuve épuisante, aggravée par la chaleur torride de l’été a laissé à tous ceux qui l’ont vécue un souvenir ineffaçable. » (1)

Certain de sa victoire Guillaume II a fait frapper une médaille commémorant l’entrée dans Paris. Elle est illustrée par l’Arc de triomphe et la tour Eiffel et on y lit « Einzug der Deutschen Truppen in Paris, 1871-1914 » (entrée des troupes allemandes dans Paris 1871-1914). C’est l’affaire de quelques jours. L’empire allemand, ses 60 millions de sujets, va bientôt en finir avec la jeune République française et ses 37 millions de citoyens. Le grand dessein pourra se poursuivre. Il ne restera qu’à absorber pacifiquement l’empire austro-hongrois (par des liens resserrés, sur le point d’être mis en oeuvre), mettre à genoux la Russie en pleine décomposition interne. L’Angleterre, définitivement isolée, n’aura plus qu’à plier…

Coté français on envisage un siège prolongé de Paris comme en 1871. Des troupeaux ont été parqués dans les bois de Boulogne et de Vincennes. Des trains de vivres arrivent à tous instants dans les gares. Le 2 septembre un convoi spécial emporte le Président de la République et le gouvernement vers Bordeaux. Les chances de retournement paraissent dérisoires, l’opinion publique, les députés exigent des coupables. Ils sont désignés, c’est le général Joffre entre autres, «un incapable ». Après la défaite on les jugera.

Le scénario s’est déroulé autrement : « Le 5 septembre, l’aube qui blanchit le ciel marque le début d’une journée où va se déclencher – et de façon imprévue – la plus grande bataille que l’histoire ait jamais connue : 2 millions d’hommes vont s’affronter pendant plus de 6 jours sur un champ de bataille de 250 kilomètres de long. » Ce sera une victoire.

 

Quel nom donner à cette victoire ?

La question se pose tout de suite et le nom choisi reflète une réalité historique : c’est près de la Marne que l’avancée allemande a été stoppée in extremis: « Comment désigner pour la postérité, cette grande bataille qui s’achève ? l’étendue de territoire sur laquelle s’étaient déroulées ses péripéties excluait le choix habituel, celui de la localité la plus proche. Meaux, Château-Thierry, Bar-leduc, Verdun avaient à cet égard des titres égaux. Seule, une association du genre -bataille de Paris-Verdun- permettrait d’englober sous un même vocable les combats de l’Ourcq, des Grand et Petit Morin, des marais de St Gond, de la trouée de Revigny et de l’Argonne. Mais Paris-Verdun paraissait désigner une épreuve sportive. Il fallait trouver autre chose. (…) La partie décisive s’était jouée à l’ouest, entre l’Ourcq et le camp de Maillly. Joffre décide donc de retenir le nom de la rivière dans le bassin de laquelle se sont déroulés les engagements qui ont donné le coup d’arrêt à l’avance de l’aile droite allemande. Bien qu’aucune rencontre sérieuse ne se soit produite sur les bords même de la Marne, ce choix reçoit une consécration officielle dans le télégramme que le 11 au soir Joffre adresse au gouvernement : « La bataille de la Marne s’achève en victoire incontestable ». Durant ces quelques jours 112 000 soldats français et anglais ont été tués et 150 000 blessés. Coté allemand les chiffres ne sont pas moins effrayants, 83 000 tués et 173 000 blessés. Parmi les morts beaucoup de Seine-et-Marnais : « Je commande à 250 hommes, un tiers parisiens, deux tiers briards » (Lieutenant Charles Péguy, correspondance, 1914). Ni Péguy ni aucun d’eux n’auraient pu imaginer qu’ils seraient tués à coté de chez eux le mois suivant leur mobilisation. Aux cotés de Charles Péguy, le soldat Alphonse Tellier sera blessé dans le champ qu’il cultivait à Iverny avant la bataille… (Voir son interview réalisé en 1972, sur le site des Amis du Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux).

 

Un récit trop « parisien », une amplitude oubliée

« Pour les Parisiens, la bataille de l’Ourcq résumait à elle seule la gigantesque rencontre. Le reste c’était peu de choses ! (…) c’est une sortie de la garnison de Paris et la randonnée des taxis qui avaient sauvé la France ! Cette façon simplifiée de voir les choses flattait à la fois l’orgueil de la capitale et le goût de réduire un événement complexe à son aspect le plus frappant et le plus élémentaire. » La réalité historique est que 1 200 taxis ont été réquisitionnés pour constituer deux convois permettant d’acheminer vers le front entre trois et cinq mille hommes. Mais sur le plan militaire cette opération n’a eu pratiquement aucun impact. Elle a été avant tout psychologique, grâce à une communication très bien relayée.

 

Un tourisme de mémoire à développer. À quelle échelle ? avec quelle ambition ?

Le développement du tourisme de mémoire est parallèle à celui de tous les autres (balnéaire, culturel, etc), avec une forte accélération entre les deux guerres liée à l’augmentation du cyclisme, du parc automobile, l’amélioration du réseau routier, la diffusion des cartes et guides, un début de démocratisation des séjours touristiques, etc. Pour ce qui concerne la bataille de la Marne on peut dire qu’aujourd’hui, comme à l’époque, elle reste largement méconnue malgré tout ce qui la rend unique, décisive. (Se rappeler aussi que la guerre ne faisait que commencer. Elle devait être courte et « joyeuse ». Elle devait aussi être la dernière. On connaît la suite. L’armistice du 11 novembre c’est l’histoire d’une paix qui n’a jamais eu lieu, de la guerre qui recommencerait deux décennies plus tard). Le tourisme de mémoire est une des façons d’aborder l’histoire du XXe siècle, prendre conscience de cet enchaînement, son envergure européenne. Un « devoir de mémoire » parce qu’il y a un « devoir d’avenir ».

L’ambition pédagogique requise nécessite des moyens en rapport, pour révéler, les lieux, les traces, les conséquences de ces journées décisives. Les champs de bataille sont les périmètres auxquels on pense en priorité, compléments indispensables de ce qui est montré dans des musées. Là, sur le terrain, se découvre le cadre de l’action, de la souffrance et de la mort de centaines de milliers de soldats. Là, peuvent être évoqués moins abstraitement les faits militaires mais aussi ce qu’ont enduré les civils, les exactions de toutes natures, les destructions et pillages systématiques, le patrimoine monumental disparu, les mouvements de population, etc. Evoquer également toutes les lois et mesures prises pour faire face aux pertes humaines, aux nécessités de reconstructions, de remise en état des fermes et terres de culture.

Ces faits, ces décisions innombrables ont initié des transformations matérielles et culturelles majeures, qui ont été renforcées à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale. Un bilan impressionnant qui aide à comprendre le présent.

Ce projet mériterait d’être coordonné sur la totalité de ce que fut le front en septembre 1914, en montrer l’envergure, les contraintes. Le nom choisit par Joffre signifie bien que c’est dans la partie occidentale que s’est produit le retournement permettant la victoire, en Seine-et-Marne notamment. Sans aucun doute, ce tourisme n’est pas simple à développer du fait de l’étendue et de la complexité des événements : « Si, par le conflit qu’elle évoque, par ses rebondissements dramatiques, la tension croissante qui s’y fait jour et l’évolution inexorable de l’action, la bataille de la Marne apparaît comme une véritable tragédie, celle-ci ne répond nullement aux règles de l’époque classique. Ni l’unité de lieu, ni l’unité de temps n’y sont respectées. L’ensemble des combats présente la complexité qui est la marque même des grands événements. Plusieurs actions se déroulent simultanément sur des plans différents. Elles s’enchevêtrent en contrepoint comme les développements d’une fugue à plusieurs voix. La compréhension de la bataille exige donc un double effort : d’analyse d’abord, de synthèse ensuite. »

C’est dans cette complexité que réside l’attrait essentiel de cette mise en tourisme, lui donne des chances de créer un motif puissant d’adhésion, de succès.

(1) Henri Isselin, La bataille de la Marne, Arthaud, 1964, 275 pages. Livre très bien écrit, avec une description claire de la situation dans les deux camps, notamment au niveau de l’État-major et des troupes, avec leurs qualités et faiblesses réciproques.

Une iconographie très riche et rare, de très nombreuses informations dans le livre de Christian de Bartillat La Marne, bataille du Multien, 5-10 septembre 1914, une tragédie en 5 jours, Presses du village, 128 pages, 1994.


 

 

 

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INFORMATIONS

«Mise en tourisme» :

échelle territoriale des projets et cohésion générale À la question de savoir s’il n’y a pas un risque « d’overdose » en matière d’offres touristiques, s’il n’y a pas un seuil de tolérance où le territoire ne peut plus assumer la compétition des sites les uns par rapport aux autres, Gilles Marty (dirigeant une agence d’architecture spécialisée dans ce domaine, Inca-architectes*), répond : « J’ai toujours tendance à penser que le mal français réside dans le fait que son maillage touristique reste impensé : ce maillage existe au niveau administratif mais pas en termes de cohésion de projets. La France manque de grands projets fédérateurs : on y démultiplie les destinations sans construire ni les parcours ni les réseaux qui les relient et qui devraient faire sens pour le tourisme. (…) Il faut créer des univers à l’intérieur desquels les touristes passent d’un lieu à l’autre. » Ce tourisme pensé et coordonné à plus grande échelle permet un développement des territoires, une économie qui s’en s’affranchit.

« Souvent, on s’aperçoit que la pertinence internationale ou nationale n’est pas uniquement une pertinence touristique, mais aussi de savoir-faire, de richesse économique, d’enrichissement des territoires, de développement durable : des leviers existent qui permettent de recréer de la richesse non exclusivement touristique ». À la question de savoir quels pays donnent l’exemple en matière de coordination à grande échelle Gilles Marty n’en donne qu’un, les routes touristiques norvégiennes. (*) Journal d’A, juillet-août 2018

 

À propos de guides

L’entreprise Michelin a édité dès la fin de la Première Guerre Mondiale une série de guides historiques proposant des itinéraires de découverte de l’ensemble des champs de bataille. Dans l’introduction de celui relatif aux batailles de la Marne et de l’Ourcq, les objectifs du tourisme de mémoire sont parfaitement exposés : ressentir pour mieux comprendre. Ces guides proposent des circuits tenant compte de l’état du réseau routier de l’époque. À cette nuance près ils sont des sources toujours utiles pour améliorer ou construire des itinéraires actualisés, enrichis d’autres thématiques. Suivre ces guides et les circuits proposés, avec les photos d’époque qui les illustrent, c’est revivre un peu de l’émotion des touristes des années vingt qui découvraient brutalement l’ampleur des destructions. Sur le bâti mais aussi sur des milliers de kilomètres carré de terre agricole. Une ampleur jamais connue, effrayante, que les journaux des années de guerre n’avait jamais montré. Introduction au guide Michelin édité en 1919 (Champs de bataille de la Marne 1914 - L’Ourcq, Chantilly, Senlis, Meaux, 120 pages).

« Nous avons essayé de réaliser, pour les touristes qui voudront parcourir nos champs de bataille et nos villes meurtries, un ouvrage qui soit à la fois un guide pratique et une histoire. Nous ne concevons pas, en effet, une telle visite comme une simple course dans les régions dévastées, mais bien comme un véritable pèlerinage. Il ne suffit pas de voir, il faut aussi comprendre : une ruine est plus émouvante lorsqu’on en connaît l’origine, tel paysage qui paraît terne à l’oeil non averti se transfigure par le souvenir des luttes qui s’y sont livrées. » Cette dernière remarque prend tout son sens dans les plaines agricoles du Multien, d’un « raffinement » et une « immensité » grandie par l’histoire : « Dans cette immensité ouverte et tendue comme la peau d’un tambour aucune aspérité ne passe inaperçue, le moindre élément en élévation crée l’événement. Peu d’arbres dans cette nudité. En revanche, les fermes et les villages affirment une échelle et un raffinement remarquables. De nombreux parcs, entourés de superbes murs, composent autour des établissements bâtis une articulation incompara - ble avec l’immensité des cultures qui les environnent ». Atlas des paysages de Seine-et-Marne, Conseil Général 77, page 57.

 

 

 

 

  • Bertrand Deladerrière ,  Equipe CAUE77
  • Conception graphique et réalisation de la version papier : Juliette Tixador  juliettetixador@free.fr
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