INONDATIONS, CRUES SOUDAINES, COULÉES DE BOUES

SE PROTÉGER (UN PEU) AVEC DES TALUS PLANTÉS

Des solutions anciennes à réinvestir

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Rien ne résiste à l’eau…

 

… à sa violence, ses flots boueux, lorsque trop c’est trop, que la « mesure » est pleine. Le traumatisme est toujours aussi fort quand on en fait le constat soi-même, dans son cadre de vie proche, celui d’une réalité saisissante dans des zones où « on n’avait jamais vu ça ». Dans de nombreux secteurs, les orages du printemps 2018 ont donné l’occasion d’assister à des faits totalement « inimaginables ». On se demande ce qui arrivera la prochaine fois quand on entend parler du climat qui change, des orages plus nombreux, plus violents. Alors, un article de plus sur le sujet ? au nom de quelle prétention ? 
D’abord pour faire un rappel, celui d’une certaine impuissance et d’une imprévisibilité de mécanismes défiant le «bon sens», la mémoire de chacun. Ainsi, même les sols forestiers n’ont plus rien retenu malgré des caractéristiques et une période très favorables : importante couverture herbacée, litière abondante, structure perméable et aérée sur une grande profondeur. Rien n’a pu retenir la lame d’eau formée sur quelques hectares. Dans certains cas, elle est «sortie du bois» et a traversé des maisons situées en sommet de coteau, démontrant si c’était nécessaire qu’il n’y a pas que les fonds de vallée menacés. À la Ferté-Gaucher le 6 juin 2018 il est tombé en 15 minutes ce qui tombe normalement en un mois et les rues ont été envahies en quelques minutes par 80 cm d’eau. Les inondations de la vallée du Loing restent dans les mémoires. 

 

À partir de ces constats, que faire ? 

 

Stocker l’eau ? on le fait déjà pour la majorité des nouvelles zones imperméabilisées. Bâtir sur des buttes ? dans certains cas ponctuels pourquoi pas. Construire en adaptant les rez-de-chaussées aux conséquences des inondations ? c’est une évidence. Mais le compte n’y est pas. L’essentiel des surfaces construites restera définitivement vulnérable (à l’échelle des moyens disponibles...) face à des événements hors norme. 
Alors, pour toutes ces zones, on peut chercher à se protéger non pas du niveau final de la crue, mais de la façon dont ce niveau va être atteint. On peut tenter de canaliser, ralentir, voire stopper la vitesse de la masse d’eau qui, chargée de déchets, voit sa force dévastatrice démultipliée. Faire cette proposition, c’est évidemment s’exposer au flot des critiques qui trouveront la solution timide, partielle, insuffisante, etc. Certes, mais elle est à la portée de tous, particuliers ou collectivités, et si elle était mise en œuvre à grande échelle elle pourrait contribuer à réduire fortement les conséquences des épisodes pluvieux exceptionnels. 

Profil en travers d’un talus planté avec fossés de part et d’autre : les systèmes racinaires colonisent toute la terre du talus.  La bonne aération des systèmes racinaires et une bonne alimentation en eau sont des facteurs très favorables à leur développement, ce qui permet un très bon ancrage des arbres pour une croissance optimum.

 

 


Des solutions anciennes


On évoquera des dispositifs qui ont fait leur preuve sur quelques millénaires et continueront à le faire tant qu’on aura l’idée de les construire, les haies sur talus. Il ne s’agit pas d’évoquer la mise en place d’un néo-bocage, maillage très large ou resserré de haies. Plus simplement d’imaginer la mise en place sur certains linéaires stratégiques, d’obstacles résistants à des courants violents, pou-vant faire barrage et stoker l’eau, et qui même hors des épisodes pluvieux en retiennent un gros volume à l’intérieur même de leurs composantes : le talus lui même, qui peut atteindre trois mètres de hauteur, le ou les fossés qui longent ces talus, et les arbres qui tiennent le talus avec leur volume racinaire. Des ouvrages de ce type extrêmement massifs ont existé dans de très nombreuses régions d’Europe, ne serait-ce que pour des raisons défensives autour des groupements d’habitation. Ce sont les premières murailles (1) levées de terre, plantées en masse avec des épineux, de façon à les rendre infranchissables. De ces talus plantés, il en est resté un important linéaire dans le domaine rural jusque dans les années 50. Ils ont régressé fortement ensuite. On redécouvre leur intérêt depuis quelques années.

 

Des performances reconnues


Un intérêt qui est fondé sur des observations, la mesure de performances, notamment en terme de résistance à l’érosion, et de bonne tenue au vent des arbres qui y sont implantés. Ces perfor-mances sont directement liées à la présence d’un volume exceptionnel de racines en très bon état sanitaire. Elles se développent hors-sol naturel ce qui les protège de la stagnation d’eau, en particulier en période hivernale (une stagnation qui aboutit à l’asphyxie ou à un développement chétif chez les essences non adaptées). Contrairement à l’idée première, qui fait craindre que l’arbre va facilement basculer en étant planté sur butte, c’est le contraire qui se produit. Les racines sont en meilleure santé, elles se développent sur une plus grande épaisseur et avec une plus grande surface de contact. D’autre part, la plantation se faisant à grande densité, les racines de chacun des arbres se lient entre elles. Elles forment un « mur racinaire » impossible à démêler, qui capte une partie des circulations d’eau dans le sol.

 

Des réalisations en plusieurs phases


Cette eau retenue, piégée, remonte par capillarité à l’intérieur du talus et assure un niveau d’humidité favorable à la croissance des arbres. On peut augmenter ce volume d’eau avec la mise en place de fossés plus ou moins larges et profonds, longeant le talus sur un ou deux cotés. Le curage régulier des fossés fournit une masse de feuilles, transformées rapidement en terreau, qui peut être épandu sur le talus et en augmenter progressivement la hauteur. Si aucun obstacle latéral ne s’y oppose le talus peut aussi être élargi avec le temps. Des expériences montrent que l’on peut augmenter très rapidement la hauteur du talus planté, sans conséquences pour l’état sanitaire des arbres, et bien qu’on vienne régulièrement enterrer leur collet. Un rehaussement de 5 cm, ou davantage par an, ne pose aucun problème à partir du moment où les jeunes plants sont bien installés. On parvient ainsi a minima à 1 mètre d’exhaussement en 20 ans. Ainsi, l’urgence d’un projet se situe généralement dans la plantation. Si l’édification du talus est un investissement trop lourd il peut être différé dans le temps et réalisé progressivement.

 

Des talus qui rapportent


Une fois plantés, les arbres n’ont pas besoin d’entretien particulier si ce n’est quelques tailles de formation et un élagage des branches basses pouvant gêner le passage des engins utilisés pour l’entretien des fossés. La densité des troncs, leur accès facile pour des travaux d’élagage sont des facteurs très favorables à la production de bois d’œuvre de qualité. Ces arbres sont faciles à abattre, à enlever. Aussi, les gains liés à cette production à forte densité sont un des critères à retenir dans les simulations financières préalables. Ces calculs doivent prendre en compte différents paramètres : choix d’essences, vitesse de croissance et âge d’exploitation, opérations d’entretien, gains obtenus en matière de ruissellement, etc.  

 

Nouvelle identité paysagère


L’ensemble des regards portés sur un paysage finit par lui donner son « identité paysagère » : un consensus, une culture s’établit, évoluant au gré des changements qui affectent le territoire et les regards que l’on porte sur lui. Installer des talus plantés à une certaine échelle est une opération qui a évidemment un fort impact, visuel, symbolique, pratique, microclimatique, etc. On peut la refuser au nom d’un état actuel dans lequel cette structure végétale « n’a rien à y faire » parce qu’elle en est totalement absente « depuis toujours ». C’est oublier qu’elle a pu être présente mais qu’elle a disparu. C’est en même temps vouloir fixer un état du territoire qui n’a jamais cessé d’évoluer dans le temps. Se poser la question de l’opportunité d’installer des talus plantés c’est l’occasion de poser celle de l’identité locale, en la reliant à d’autres constituants : talus routiers, chemins ruraux, zones d’activité, lotissements, bassins de rétention et autres emprises techniques, clôtures, etc. Les talus plantés peuvent-ils oui ou non aider à améliorer ces différents éléments et périmètres, à la fois d’un point de vue fonctionnel et paysager ? si la réponse est oui, la question d’une évolution de « l’identité paysagère » mérite d’être posée. Un constat : la notion de paysage est ce qui permet les projets, les changements et c’est ce qui fait l’intérêt même de cette notion, vivante, évolutive. « Il existe sans doute une harmonie mouvante entre ce que la Terre devient et notre mode d’appréhender ces modifications. C’est la même société qui construit son territoire et dans le même temps qui donne le regard et les moyens d’appréhension de la Terre à ses habitants ». Pierre Sansot

 

Où planter


Vient le moment du projet : où positionner ces talus plantés ? pour quels objectifs ?

ils sont multiples et se combinent entre eux : ralentir fortement, voire stopper des courants violents, intercepter des déchets de toutes sortes y compris les plus volumineux (troncs d’arbres à la dérive, véhicules de tous types, etc.) canaliser l’eau, en stocker une partie.

Ces objectifs hydrauliques peuvent se combiner avec d’autres plus classiques : faire de l’ombre, servir de brise-vent, clôturer, masquer, produire du bois, etc. La localisation en amont des zones à risque est la priorité. 
En poursuivant systématiquement cet objectif dans tous les projets publics et privés d’un secteur donné on ne supprime pas les causes d’inondation, c’est évident, mais on en diminue une partie des effets les plus dangereux et traumatisants. Surtout, on change la façon d’aborder la question dans les aménagements, où l’eau est systématiquement prise en compte comme force en mouvement sur toute la surface du territoire d’études et non comme simple niveau à faire baisser dans les vallées. 

 

Un dernier rappel

 

Comment contenir l’eau quand 15 cm ou davantage tombent en une heure, pendant plusieurs heures, soit 1500 m3 à l’hectare a minima ?

une fois amassée cette eau représente un volume en mouvement de 2 mètres de hauteur, 30 mètres de largeur et 25 mètres de longueur…


Comment empêcher ce bélier de se former sur les moindres versants et d’y emporter tout sur son passage, y compris dans les plaines agricoles, en forêt, voire même à mi-pente de collines ?

 

1) Les toponymes du type Plessis-Feu-Aussoux, Plessis-Trévise, Plessis-Robinson, qui font référence à un mode de gestion des haies, révèlent parfois la présence ancienne de ce type de dispositifs défensifs.

 

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INFORMATIONS

Un article de Bertrand Deladerrière. 

Retrouvez l'ensemble des illustrations dans la version papier de la lettre N°10 d'octobre 2018

 

 

 

Chemin creux entre deux talus : à la fois «gouttière» et liaison douce.

 

 

 

 

 

 

 

Mélanger les essences 

 

Talus venant d’être terrassé et planté avec deux lignes d’arbres

 


Les combinaisons d’essences pour les plantations sur talus sont évidemment infinies. Celles combinant essences à croissance rapide et à croissance lente sont parmi les plus intéressantes. Exemple : une ou deux lignes de peupliers en pied de talus avec de grands écartements et une ligne à longue durée de vie sur talus (chênes, érables, tilleuls, pins, ifs, etc.), beaucoup plus serrée. Les peupliers à croissance rapide permettent de répondre en quelques années à différentes fonctions(brise-vent, masque, tenue du sol, etc.) tout en ombrageant la ligne centrale plus lente. Leur maturité est vite atteinte. Ils sont abattus et leur vente finance une partie de l’investissement. La ligne centrale sur talus peut alors poursuivre sa croissance en se développant en largeur sans contraintes. Cette ligne sur talus peut elle-même être réalisée avec différentes essences en mélange, caduques/persistants par exemple.

 

Chemin creux 

Deux talus plantés parallèles, établis à quelques mètres de distance, c’est à la fois un chemin creux et une « gouttière ». Une structure linéaire qui a été pendant longtemps l’armature de nombreuses campagnes. Ceux qui subsistent racontent tous les avantages de ce dispositif pour des déplacements à l’abri du vent, des pluies violentes, de la chaleur, des regards. En cas de pluies intenses, ils peuvent aussi servir d’exutoire aux masses d’eau en mouvement sur les pentes. Le chemin creux devient torrent où l’eau est canalisée, protégeant les zones à risque. Les réseaux racinaires des lignes d’arbres maintiennent la structure du chemin central. L’eau peut s’écouler mais le chemin se creuse à peine. Ou plutôt, ce sont les talus qui s’élèvent avec les produits de ravinement déposés dans les fossés régulièrement curés. Une infrastructure devenue inadaptée à la circulation des engins agricoles mais qui peut assurer d’autres fonctions, liaison douce notamment, et qui restera toujours la plus efficace des « gouttières » en zone rurale ou périurbaine.

Comment faire mieux et moins cher sur une longue durée, en intégrant toutes ces fonctionnalités ? Les logiciels de calcul intégrant la variante « chemin creux » restent à mettre  au point pour construire autrement les chemins, pistes cyclables et autres liaisons douces des extensions urbaines.

 

Fossés remplis d’eau le long de l’allée des Princes à Combs-la-Ville. Des fossés larges et profonds bien reliés entre eux et au réseau hydrographique permettent de stocker l’eau tout en favorisant un bon état des plantations. Ils assurent le drainage de sols trop souvent engorgés en période hivernale dans de nombreux secteurs de la Seine-et-Marne. 

 

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