DES JARDINS HISTORIQUES DURABLES

SENSIBILISER À LA GESTION DURABLES DES ESPACES JARDINÉS

Les progrès en matière de conception et de gestion durable de tous les types d’espaces jardinés sont réguliers, massifs, et concernent tous types de problématiques. 

 

A savoir : choix des essences, traitements phytosanitaires, recyclage des déchets, caractéristiques des matériels d’entretien, gestion des zones humides et surfaces en eau, conditions d’accueil de différents publics dont les personnes à mobilité réduite etc. 


La prise en compte de ces problématiques se fait au fil des créations, des reprises, de la gestion au jour le jour. Elle est rapide dans les projets neufs, plus lente dans les jardins patrimoniaux dont les formes paraissent plus difficiles à adapter à ces exi-gences. Pourtant, en terme de surfaces concernées, il s’agit d’un enjeu majeur, particulièrement en Seine-et-Marne où le patrimoine des parcs et jardins historiques est considérable quand on inclut les propriétés privées. 

 

Interpréter les formes historiques…

Ce patrimoine peut être classé par styles :  jardins d’inspiration anglaise, paysagère au sens qu’on lui a donné au XIXe siècle, ou bien française, classique, régulière, ou bien encore moderne, art déco, etc. Au fil du temps des changements radicaux peuvent intervenir. Exemple magistral, le parc de Champs-sur-Marne : dessiné à la française au début du XVIIIe siècle, puis morceau d’un très grand parc à l’anglaise au XIXe siècle, il retrouve une forme régulière au XXe siècle. La sensibilité des créateurs, des gestionnaires est source de nuances, d’interprétations variées à l’intérieur de ces familles stylistiques. 
Le jardin à la française, c’est celui de Le Nôtre mais aussi de contemporains qui, tout en utilisant la même géométrie, aboutissent à des ambiances radicalement différentes. Vauban, par exemple, immense architecte et urbaniste, admirateur de Le Nôtre, conseille très clairement une approche durable au mar-quis de Chamlay pour son projet de parc. « Je le voudrais planter de tous les bons arbres fruitiers qui se pourraient trouver, c’est-à-dire une infinité de fruits à noyaux de toutes les meilleures espèces, par alignement ce qui n’empêcherait pas la culture des terres entre deux (…) Je vous conseille  d’envoyer au diable tous les épicéas, les ormes et les marronniers d’Inde qui coûtent beaucoup et ne produisent rien » (Lettre de Vauban au marquis de Chamlay, 30 mai 1700). Cette forme d’espace évo-quant l’agroforesterie, avec une trame de plantation régulière, peu coûteuse et productive, n’a évidemment rien à voir avec les tapis verts de Le Nôtre que Vauban apprécie pour l’œil… mais ne conseille pas. Aussi, la prise en compte de la notion de durabilité dans la restauration, la gestion des parcs et jardins historiques commencent par la mise à jour de tout ce qui peut se rattacher à cette notion dans le projet d’origine, même si le mot n’existait pas. Un contenu pouvant s’appréhender dans les écrits des concepteurs, les tracés d’origine, les vestiges, les végétaux encore présents.

… en les adaptant à l’état existant

Des jardins méritent d’être restaurés, entretenus, avec l’objectif de s’approcher et de se maintenir au plus près de leur authenticité historique et paysagère. Comment évaluer leur valeur patrimoniale, et quelle priorité lui accorder ? Questions liées à de multiples critères dont la personnalité du concepteur, la rareté de l’œuvre, etc. Mais, pour ne pas rester dans l’abstraction de l’histoire de l’art, un des critères du choix est l’état dans lequel se trouve l’œuvre aujourd’hui. 
Un jardin n’est pas un tableau : s’agit-il encore d’un jardin ou bien les sols, la trame végétale, l’eau présente en surface et dans le sol, ont-ils finis par reconstituer au fil du temps un milieu intéressant, riche par sa biodiversité ? Dans une analyse multicritère comment qualifier celle-ci au regard des aspects culturels et paysagers ? La réponse donnée dépend des époques. Aujourd’hui, dans quels contextes les impératifs de qualité écologique ne sont pas ressentis comme prioritaires ? Les analyses faites en amont des projets de restauration doivent argumenter ces priorités. 


Quand le jardin devient public

De nombreux jardins publics ont une origine privée, pensons aux Tuileries. C’est une tendance ancienne, liée à la dynamique urbaine et des territoires en général. Ce changement est synonyme de nouveaux usages, obligeant à revoir la composition initiale pour y intégrer tous types d’équipements (jeux d’enfants, parcours sportifs, kiosques, structures à vocation pédagogiques, etc.). 
Ce changement de destination doit être perçu depuis les voiries et cheminements proches pour assurer une continuité symbolique et visuelle de l’espace public, garantir une fréquentation à la hauteur des enjeux. Cet objectif peut nécessiter la mise en place de grilles à la place de murs pleins, l’ouverture de perspectives sur le parc depuis les espaces publics, etc. Parallèlement, dans les documents d’urbanisme, ces changements de statut doivent avoir leur traduction. Il faut faire en sorte que les secteurs périphériques au parc garantissent sur le long terme une valorisation réciproque.


Des exemples seine-et-marnais 

Ils peuvent se compter par dizaines pour illustrer tous les choix possibles, notamment en matière de gestion de la trame végétale, de respect des grands choix initiaux de terrassements. Prenons-en quatre illustrant différents styles et états de dégradation. 
 

Le parc de la mairie de Poigny

Premier cas, le parc de la mairie de Poigny. Cette propriété du XIXe siècle a été acquise par la commune pour y installer sa mairie. Le parc avait été abandonné dans les années soixante et a été restauré en 2010-2011 par des étudiants de l’Ecole du Pay-sage de Versailles, encadrés par le paysagiste Olivier Jacqmin. Le conseil municipal considérait les objectifs écologiques et pédagogiques comme prioritaires. Les travaux ont consisté en abattages, création de clairières, dégagement d’un bassin, res-tauration de maçonneries, renforcements de lisières, création de sentiers, mobiliers, etc. Un gros travail d’ouverture du parc sur la piste cyclable et le chemin piéton, situés en bordure ouest du parc, a été réalisé. 
Au vu du résultat, un enseignement très fort peut être tiré de cette réalisation : l’acquisition de parcs ou jardins historiques et leur restauration peuvent se faire à l’intérieur d’enveloppes budgétaires très contraintes, profitant des richesses écologiques déjà en place.

Le parc de Monceaux-les-Meaux

Avec le parc de Monceaux-les-Meaux, on a à la fois une dispa-rition totale, celle de tous les parterres fleuris, et une sorte « d’éternité » du terrassement initial. Le château XVIIe dominait la vallée de la Marne avec des parterres répartis sur deux ter-rasses, et un dénivelé de plusieurs mètres entre les deux. Avec le temps, le château est devenu une ruine romantique entourée d’un milieu naturel où seules les prairies de fauche maintiennent l’idée de jardin. La puissance du terrassement initial a définitivement inscrit ce jardin dans le site et les milieux naturels qui se développent dans les fossés et sur les surfaces non fauchées n’empêcheront jamais d’appréhender le projet radical mis en œuvre il y a près de 400 ans, avec un remaniement complet des sols, des pentes, des écoulements d’eau. Cet aspect essentiel de la création paysagère au XVIIe siècle peut toujours être raconté, expliqué sans remettre en cause la biodiversité venue s’installer là où régnait l’artifice le plus intense.

Le parc de Chevry-en-Sereine

En accompagnement d’un château Louis XIII, le parc de Chevry-en-Sereine bénéficie sur la longue durée d’un entretien minutieux, simple, bien calibré. Tout y semble en correspon-dance avec l’esprit du lieu, y raconte une gestion optimisée : les choix d’essences d’arbres d’alignement, leur conduite tenant compte de leur valeur marchande à terme, les pelouses gérées de façon extensive, les dégâts de la tempête de l’hiver 2000 rapidement effacés du fait de la bonne structure des bosquets, etc. Cette qualité d’entretien assure le maintien des effets paysagers inscrits dans le dessin initial, notamment les très belles perspec-tives sur la plaine agricole. Des vues dont la qualité ne réside pas dans la sophistication des premiers plans, une prairie fauchée a minima, mais dans la justesse des proportions, la qualité des bosquets et des lisières les encadrant.

Le parc de Livry-sur-Seine

On atteint là une sorte de point de non retour, lorsque les tracés d’origine disparaissent en totalité. A l’origine une composition régulière établie en bord de Seine au XVIIe siècle, avec des allées plantées s’ouvrant sur la plaine agricole au sud. Le parc est aban-donné puis transformé en zone d’extraction pour exploiter son sous-sol riche en matériaux alluvionnaires. Des plans d’eau sont creusés. A la fin de l’exploitation, un milieu naturel de grand intérêt s’installe et motive la création d’un espace naturel dépar-temental en 2010. Du parc d’origine il ne reste qu’une partie des sols et quelques vestiges. La recolonisation naturelle, les plans d’eau sont devenus les seuls éléments susceptibles d’orienter la gestion paysagère du site. 
Dans ces quatre exemples, deux racontent des phases d’abandon suivies de renaissances plus ou moins ambitieuses (Poigny et Monceaux-les-Meaux). Un est l’histoire d’une mutation en espace naturel sensible (Livry-sur-Seine). Enfin Chevry-en-Sereine est le très bel et très rare exemple d’un maintien dans la longue durée des formes initiales mais avec des adaptations subtiles dans la façon de gérer la trame végétale, permettant d’améliorer la biodiversité tout en réduisant l’entretien. 

Quelles priorités ?

Les quatre exemples donnés suffisent à illustrer ce que peuvent être les priorités d’une gestion durable, « réaliste » d’un jardin historique... et pouvant s’appliquer à tous types de jardins. Un état des lieux est un préalable, avec notamment l’établisse-ment d’une liste des éléments les plus fragiles, difficiles à restaurer. Au delà de la préservation, les mesures prises, les travaux réalisés doivent favoriser la mise en place d’une biodiversité en correspondance avec le potentiel du site. Tout ce qui est lié à l’eau paraît prioritaire, son écoulement en surface et dans le sol, son éventuel stockage. L’eau conditionne le devenir de la trame végétale présente et à venir, les phénomènes d’érosion, la présence de zones humides propices à la biodiversité. 
La trame arborée a le même niveau de priorité : elle répartit les zones d’ombre et de lumière, permet les perspectives ou les referme. L’évaluation de cette trame doit inclure les dégâts potentiels liés aux basculement d’arbres (murs, statues, escaliers, arrachements de berge, etc. ). La tempête de l’hiver 2000 a permis de constater leur diversité et leur ampleur. Inversement, bien structurée, bien gérée, la trame arborée peut avoir un effet de protection du parc (vent, inondation). 
Le dessin des allées est majeur. Tout en favorisant la découverte du parc, l’objectif doit être de réduire la charge d’entretien et l’artificialité. 
Une fois ces priorités traitées, le reste pourrait sembler facile... Le reste, c’est-à-dire la gestion des lisières (les renforcer, les diversifier), la gestion des surfaces en herbe (hauteur, fréquence de coupe), le choix des tailles architecturées à conserver ou pas, les protections, clôtures, éclairage à installer, les choix de mobilier, de la signalétique, des interventions artistiques.Tous ces éléments seront choisis à partir de critères de durabilité listés au préalable et transformeront ces lieux d’histoire en références pour les jardins à venir.

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INFORMATIONS

Dan la Lettre du CAUE77 N°22 - Juin 2023

Auteur : Bertrand Deladerrière

 

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