« En ville, planter des arbres est la meilleure solution pour éviter la montée des températures. » Marjorie Musy, directrice de recherche au CEREMA
Article qui fait suite à le confort urbain, un enjeu déterminant / par Bertrand Deladerrière / Lettre d'information N°13
Il y a des intuitions complexes à modéliser – concernant les écoulements d’air par exemple – et celles qui n’ont pas besoin d’être vérifiées parce que les connaissances sont acquises. C’est le cas pour l’arbre. Aucun doute, c’est « l’équipement » le plus efficace pour améliorer le confort en ville. On ne parle pas des bonsaïs et autres arbres étêtés, maintenus à quelques mètres de hauteur, qui ne servent qu’à l’ornement. Le vrai sujet ce sont les arbres feuillus à grand développement laissés en port libre. Leur présence sur les espaces publics et privés permet de refroidir les surfaces minérales ainsi ombragées tout en installant un système de traitement de l’air au coeur des secteurs les plus pollués.
Les effets sont liés au volume total de la masse foliaire, proportionnel au développement en hauteur et en largeur de la cime. Elle passe donc par le choix d’une essence adaptée et de très bonnes conditions de croissance et de gestion. « Un arbre transpire, ce qui lui permet de maintenir ses feuilles cinq à dix degrés en dessous de la température ambiante » (Nicolas Viovy, laboratoire des sciences du climat et de l’environnement). Grâce à l’évapotranspiration, la végétation convertit l’eau en vapeur, ce qui refroidit l’air ambiant. Dans un article, la chercheuse Marjorie Musy présente ses conclusions et quelques conseils : ne pas planter trop serré pour laisser passer les mouvements d’air. Pour la même raison planter des arbres de haute tige en gardant une hauteur suffisante de tronc sans branches, variable suivant la typologie des rues.
Le choix d’implantation des lignes d’arbres doit permettre de réduire les tailles au minimum. L’éloignement des lignes de plantation par rapport aux façades est toujours souhaitable. Une solution existe, trop peu pratiquée, la mise en place d’une seule ligne d’arbres dans l’axe de la rue et donc au plus loin possible des façades. Les budgets consacrés à des tailles fréquentes et mutilantes sur deux lignes peuvent ainsi servir plus utilement au suivi d’une seule ligne. Un suivi à la fois léger et minutieux poursuivant deux objectifs : supprimer toutes les causes possibles de chutes de branches, assurer un développement optimal de la cime.
Le problème essentiel à résoudre restera toujours l’approvisionnement en eau : les études montrent que 70 % des sols urbains sont imperméabilisés, 90 % dans les zones centrales. « Là où il n’y a plus de sol, il n’y a pas de stockage d’eau capable de rafraîchir l’air en s’évaporant ». Cette nécessité d’approvisionnement doit être prise en compte dans la conception de la voirie. Lorsque la rue s’élargit, devient place, la ligne d’arbres peut devenir périphérique, être doublée, triplée, etc. On parle alors de mails, une forme que l’on trouve en ville mais issue des parcs et jardins.
Des mails qui sont l’ornement et l’identité de nombreuses places seine-et-marnaises. Un patrimoine ancien, en cours de renouvellement et d’extension, profitant d’une sensibilisation soutenue depuis la publication du document Mails, places et promenades en Seine-et-Marne réalisé par le CAUE77. Le mail restera toujours une des formes de plantation les plus simples, les plus efficaces et les plus fonctionnelles qui soient, associant arbres à grand développement et sol disponible pour tous types d’activités. Les formes de mails avec arbres taillés en rideau ou marquise, intéressantes dans certains contextes, ont l’inconvénient de leur coût d’entretien et leur bilan médiocre en matière de qualité de l’air.
Cette disposition a été longtemps pratiquée dans certaines villes scandinaves pour servir de pare-feu quand l’essentiel des constructions étaient en bois. La cime des arbres, dense sur une grande hauteur, permettait de stopper la propagation des incendies d’un îlot à l’autre. En même temps, la ligne d’arbres séparait les voies de circulation. Cette disposition, contraignante pour certains convois, n’était adoptée que pour une rue sur deux dans une trame parfaitement orthogonale. Les rues plantées en alignement bilatéral et les rues plantées au centre étaient de largeurs différentes, les secondes étant plus étroites (à noter que dès l’origine, ce double système de voirie a permis la mise en place d’un réseau de rues dédié aux véhicules et convois encombrants et d’un autre pour les cavaliers et piétons. Avec la transformation des moyens de déplacement, l’évolution s’est faite facilement vers une nouvelle répartition : le réseau le plus large pour les VL et PL, l’autre pour les piétons et cycles. Ce double réseau de voirie a supprimé les nécessités de couloir de bus, pistes cyclables, etc. Les qualités du dessin initial font encore faire des économies quelques siècles après sa mise en place).
Brochure de 49 pages publiée par le CAUE77 en 1990. Réalisé après un très important travail d’inventaire, ce document présente quelques exemples remarquables (Bernay-Vibert, Seine-Port, Jossigny, Chaumes-en-Brie, Nemours), en analyse les intérêts, typologies et composantes. Dans la dernière de couverture, il est précisé que ce document « est conçu pour attirer l’attention sur un patrimoine qui forme un véritable registre de l’espace urbain. (…) il rappelle toutes les bonnes raisons de gérer les mails anciens et de créer les nouveaux mails dont le besoin se fait sentir à l’heure de l’expansion urbaine du département ». Cette publication a été encouragée et soutenue par le ministère de l’environnement dans le cadre de la campagne « Arbres dans le bourg » marquant le début du renouveau des plantations urbaines et hors forêts en France, avec l’Institut pour le Développement Forestier (IDF) comme soutien technique. Depuis cette publication, le caue77 a multiplié les actions de sensibilisation, de conseils, et a été associé au renouvellement de nombre de ces structures ainsi qu’à des créations ambitieuses.
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Le concept de « forêt urbaine » suscite actuellement de l’intérêt du fait de l’image forte qu’elle véhicule et par le patrimoine écologique espéré à terme. Différents projets sont à l’étude, dont un conçu à Paris par le paysagiste Michel Desvigne et l’architecte Richard Rogers. Il s’agit de transformer en « petite forêt » les abords de la tour Montparnasse, avec plus de 2000 arbres plantés sur un hectare : « par la densité et la continuité des plantations, par la palette végétale, il s’agit d’évoquer un espace naturel composé comme un milieu vivant, avec la couche arbustive, les fougères, les lianes, les arbrisseaux, les grands arbres, ... On y trouvera toute la palette des essences forestières d’Île-de-France. L’étage des frondaisons sera continu ». Concernant les effets sur la réduction de l’îlot de chaleur, Michel Desvigne ne promet pas de miracles : « (ces forêts) peuvent atténuer ponctuellement le phénomène d’îlot de chaleur, même s’il faut être très prudent. Tout le monde raconte des salades très prometteuses, mais l’évaluation est très compliquée ». Concernant les contraintes techniques, notamment les problèmes de sols, d’épaisseur de terre, de réseaux souterrains, Michel Desvigne rappelle une évidence : « ce n’est pas tant une question de profondeur que de volume et de continuité des sols, qui permettent d’atteindre une masse critique de végétaux ». Une chose est certaine, sans apport d’eau, c’est la pluviométrie naturelle qui devra être partagée par les 2000 arbres. Dans le climat parisien actuel qui se rapproche de plus en plus d’un modèle méditerranéen, autant dire qu’il y aura soit une très faible croissance de chacun, soit une sélection naturelle intense pour parvenir à faire quelques dizaines d’arbres d’une certaine envergure pouvant aider au « confort climatique ». L’inconvénient majeur de ce type de réalisation reste la réduction de l’espace public au détriment des piétons, des terrasses de café, etc. Défaut que n’ont pas les mails, et qui ont l’autre avantage d’une gestion facile puisque plantés à des écarts définitifs.
Concernant d’autres types d’aménagement, les toits végétalisés par exemple, les constats laissent peu de place au doute : « Ils n’ont pas beaucoup d’effets sur le climat urbain. Selon les calculs de Météo-France, il faut en aménager beaucoup et les arroser aussi beaucoup pour gagner un demi-degré au maximum. Les façades végétalisées peuvent jouer un rôle sur la perception, le ressenti des passants. Mais elles ont peu d’effets sur l’environnement du bâtiment, beaucoup moins en tout cas que des zones végétalisées au sol. Tout ce qui se perd en sol naturel, on aura du mal à le compenser ailleurs » (Marjorie Musy, directrice de recherche au CEREMA).
Les chiffres concernant la répartition des surfaces appartenant au public et au privé ne laissent pas de doutes : une des clés essentielles pour l’amélioration du confort climatique en ville est entre les mains du privé, celui des jardins de particulier, des parcs d’activité, des zones commerciales, des offices HLM, etc. Dans toutes ces emprises, les progrès possibles, quantitativement et qualitativement sont tout simplement considérables. Un domaine bouge, celui des emprises communales jardinées par des riverains. Une façon efficace de sensibiliser, susciter une envie, un savoir-faire, modifier des pratiques et entraîner des initiatives sur emprises privées. Un point clé dans ces démarches est la convention liant la commune à chacun des bénévoles. Elle définit la répartition des obligations et précise tout ce qui peut être lié au contexte. En préampréambule, il est intéressant de préciser les objectifs poursuivis, permettant de s’y référer ensuite dans l’élaboration des différents argumentaires et la communication de l’opération (choix des lieux, modalités, durées, etc.). Il faut définir les surfaces en jeu (*), la répartition des charges (achat de végétaux, entretien, remplacements, éventuel arrosage estival, etc.), les engagements de la ville (pour mémoire : travaux préparatifs comme découpe d’enrobé, enlèvement de pavés, fourniture et mise en place de terre végétale, assistance et conseils, respect des plantations par les différents services, etc.). Les engagements du demandeur concernent pour l’essentiel tout ce qui a trait à l’entretien (ramassage de tous types de déchets, maintien d’un état de propreté, taille et conduite des végétaux pour empêcher toute entrave à la circulation). Dans le cas de petites communes, de telles conventions sont en général inutiles et le bon sens et l’engagement de chacun, habitants comme élus, évitent la lourdeur du papier. L’hiver approche, la saison des plantations avec...
(*) Il peut s’agir d’une largeur de trottoir au pied de la façade d’habitation, de pieds d’arbres en pleine terre, de délaissés de voirie, de bandes d’herbe sans usage, d’espaces publics avec de la terre mais sans végétation, etc.
Dossier établi par Bertrand Deladerrière
Conception graphique et réalisation : Juliette Tixador
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