DES ALIGNEMENTS IRRÉGULIERS EN VILLE, POURQUOI ?

SENSIBILISER À L'ARBRE URBAIN

 

Pourquoi faire la promotion d’alignements irréguliers dans les centres-villes, y compris dans les contextes les plus patrimoniaux ? A cause du changement climatique et de ses conséquences sur la santé des arbres et leur pérennité. Diversifier les essences permet de réduire les risques d’inadaptation à l’élévation des températures et de mortalité à la suite des agressions de tous types auxquelles sont confrontés les arbres.  En s’ajoutant à la sécheresse inhérente au contexte urbain, le réchauffement multiplie les stress et les problèmes phytosanitaires.
Dans le même temps que le régime des pluies évolue, un excès d’eau et une asphyxie des systèmes racinaires peut succéder aux sécheresses. « En France métropolitaine, la pluviométrie devrait aug-menter entre 2 % et 6 % en moyenne. En hiver la hausse pourrait atteindre 10 %. Mais l’été c’est tout l’inverse.» Prévisions de Météo France, reprises par Matthieu Combe in Techniques de l’ingénieur, 4 février 2021. On a « changé d’époque » et on ne peut plus raisonner comme hier, lorsque les questionnements se limitaient à des problèmes de qualité des plants, de préparation du sol, d’adaptation des essences au sol, de contexte patrimonial, de la justesse des écar-tements par rapport aux objectifs paysagers et aux conditions d’entretien, etc. Répondre à ces questions reste indispensable, en y intégrant les enjeux climatiques et environnementaux actuels.

Promenades plantées, quelle histoire?

De quoi parle-t-on quand on évoque les promenades plantées des centres-villes anciens ? Que racontent-elles ? Une histoire militaire qui a remodelé totalement les tissus urbains en Europe à la fin de la Renaissance. L’invention du boulet métallique rend les remparts inutiles, incapables de résister. Les emprises libérées suite à la démolition des remparts, viennent s’ajouter aux acquisitions fon-cières nécessaires à l’établissement de nouvelles défenses en profondeur. Des lignes d’arbres sont plantées sur les bastions et sur tous les ouvrages en terre, destinés à masquer la ville, les pièces d’artillerie, et aussi à fournir du bois, etc. Elles disparaissent en même temps que ces ouvrages militaires. 
A partir du XVIIIe siècle, ils laissent la place à des lotissements, des promenades-jardins conçues dans l’esprit des parcs à la française. Dessins, écrits, maquettes, etc. racontent très bien cette histoire mou-vementée faite de remises en cause radicales lorsque les objectifs changent.  
Début XVIIIe, un goût nouveau pour l’irrégulier et le nature.  Dans l’histoire des jardins, on relie toujours le goût du XIXe siècle pour les parcs à l’anglaise à l’influence des philosophes des lumières, dont Rousseau, qui ont totalement renouvelé l’approche de la nature. L'épisode précédant cette époque est moins connu. Dans le premier quart du XVIIIe siècle, lorsque la crise économique marquant la fin du règne de Louis XIV oblige à une réduction drastique de l’entretien des grands parcs à la française dont Versailles, les arbres ne sont plus taillés, les arbres dépérissant des alignements ne sont plus remplacés, les jeux d’eau sont supprimés, etc. 
De jeunes peintres comme Watteau, et plus tard Hubert Robert, vont y dessiner d’après nature, trouvant une inspiration annonçant le romantisme, et font de cette nostalgie végétale le décor de scènes galantes ou mythologiques. Des toiles très appréciées qui font leur succès et par-ticipent à la diffusion d’un goût nouveau pour les formes naturelles, pour les lisières et les alignements « déstructurés ».

Nouvelles essences, curiosité et créativité

L’objectif de diversification des essences nécessite d’abord un « état des lieux », un classement des essences indigènes en terme d’adap-tation aux changements climatiques. La liste est faite, elle est courte : « Il ne faut pas oublier les essences indigènes, il y en a des performantes, mais vous savez combien il y en a moins de cinq » (*). Comment compléter ? La question n’est pas nouvelle. L’histoire des paysages forestiers actuels, des parcs et jardins, résulte de hasards et d’acclimatations s’additionnant au fil des millénaires. Ainsi le châtaignier, apparu dans le sud de la France à l’âge dubronze vers 2000 avant JC, « il se serait répandu progressivement par le transport et le commerce des châtaignes, avec des semis occasionnels et accidentels, de proche en proche, depuis son aire d’origine plus méridionale. » (wikipédia). 
Au XVIIe siècle la gamme était déjà assez large (voir Dezallier D’argenville, La théorie et la pratique du jardinage, 1709) avec des essences déjà bien adaptées aux contraintes actuelles, l’acacia par exemple dont il est dit qu’ « il croît fort vite et produit dans le prin-temps des fleurs d’une odeur très agréable ». Il servait à faire depuis longtemps « quantité d’allées et de berceaux ». Evidemment le pla-tane « qui aime les pays chauds, devient très beau, fort droit, et donne beaucoup d’ombrage ». Autre arbre très apprécié, le cyprès « qui est propre à former des allées et des palissades » mais dont il est dit qu’ « il est un peu long à élever aux environs de Paris ». La trame arborée des jardins utilisait tout ce que les ressources des pépinières pro-posaient, tout ce que le savoir-faire des jardiniers rendait possible, c’est-à-dire beaucoup, y compris les acclimatations les plus incertaines. L’époque était aux défis dans tous les domaines.  Aujourd’hui les défis sont différents mais nous disposons de bien plus de moyens pour y répondre, notamment la capacité d’expertise. L’attitude à avoir reste la même, curiosité et créativité. Pour les stimuler, rien de tel que de se plonger dans les catalogues des pépinières spécialisées dans la prospection et l’acclimatation d’essences ultra résistantes aux conditions actuelles et à venir. Dans celui des pépinières Soupe, nous trouvons des dizaines d’espèces très résistantes aux conditions de sécheresse prévues. Des variétés plus ou moins connues de chênes, érables, prunus, celtis, etc. mais aussi de vraies curiosités à même de renouveler le patrimoine arboré et le regard que nous portons dessus. Quel aspect aura une promenade incluant du pteroceltis tatarinowii ? Réponse dans quelques décennies. La créativité nécessaire pour utiliser cette nouvelle gamme peut s’appuyer sur ce que des générations de paysagistes ont su inventer comme concepts, formes, mélanges. (*) Daniel Soupe, directeur des pépinières Soupe, intervention lors de la 36e arborencontre « plantations d’arbres et changement climatique ». Voir vidéos sur le site du CAUE77

Quelle perception ?

Pour relativiser les changements d’aspect liés à l’utilisation et au mélange des essences, il est utile de rappeler quelques évi-dences. L’alignement à écartement régulier d’arbres tiges d’une certaine hauteur, sur une ou plusieurs lignes, dessine une forme majeure dans le paysage, tels les alignements routiers. Des alignements que l’on découvre dans le paysage mais aussi de l’in-térieur, quand l’alignement bilatéral est avant tout une perspec-tive, une symétrie, une ambiance végétale accompagnant un déplacement. Mais les plantations urbaines, du fait de la pré-sence du bâti et l’absence de recul, se découvrent presque uniquement « de l’intérieur ». C’est le point de vue en perspective, dans l’axe, qui prime et auquel le paysagiste-concepteur doit prêter attention. Dans cette vue en perspective, les différences d’écartements entre arbres, de teinte de feuillage, les légers décalages par rapport aux axes de plantation et toutes sortes d’irrégularités de hauteur, de volume, se perçoivent assez faiblement. Aussi, est-ce exagéré de dire qu’un alignement peut être très irrégulier sans que cela porte beaucoup à conséquence du point de vue de sa perception par le promeneur ? A chacun de répondre, mais la question mérite d’être abordée et illustrée par le paysagiste-concepteur à travers ses propositions.

Qualité environnementale 

Il est évidemment devenu impossible d’envisager une plantation d’arbres en ville sans intégrer des objectifs environnementaux et de confort des riverains. Mais les qualités écologiques de ce type de structure sont forcément limitées : « L’alignement est souvent la seule occasion pour les arbres, et pour les plantes en général, d’imposer leur présence. (…) Mais l’alignement atteint vite ses limites en matière de milieu naturel ou de corridor écologique.» (1) Les écartements entre arbres et entre lignes de plantation ont leur importance : « Plus les arbres seront proches les uns des autres, et surtout si les lignes peuvent se toucher à la façon d’une voute, plus grande sera la capacité fonctionnelle de l’alignement vis-à-vis de la faune. » (1)
Mais ce sont les compléments végétaux qui garantissent la biodiversité de l’alignement : « La présence de plantes herbacées, arbustives et/ou grimpantes au pied ou à proximité des arbres, est une des conditions pour augmenter le potentiel écologique des alignements. En complexifiant la structure végétale et en ajoutant à la strate arborescente les strates arbustive et herbacée, on donne la possibilité à un plus grand nombre de micro-organismes de se fixer. » (1) Si cette qualité de biodiversité est au rendez-vous et qu’une continuité de l’alignement est assurée faisant se rejoindre des réservoirs d’espèces, alors l’alignement peut jouer une fonction de corridor écologique.
La question de l’expertise permettant d’atteindre ces objectifs est clairement posée. Elle est distincte de celle concernant les aspects patrimoniaux et paysagers. Le projet, synthèse de tous les objectifs, doit permettre de passer de l’échelle des arbres « à celle d’une structure complexe et complète englobant le sol et les autres plantes. » (1) (1) « Biodiversité et alignement, oui, mais sous conditions » Yohan Tison et François Freytet, revue Jardin, novembre-décembre 2013 

« Le vivant tel qu’il devient »

« Il est important de se souvenir qu’au-delà d’un récit inscrit dans une époque, dans le temps court de la conception initiale, les jardins historiques sont aussi des lieux capables de travailler avec le vivant tel qu’il est, tel qu’il change et tel qu’il devient » (Olivier Lerude, ministère de la Culture, 2018). Avec ce dernier mot tout est dit, la culture historique des alignements doit être renouvelée en intégrant le vivant tel qu’il devient et non comme on aimerait qu’il reste.

 

 

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INFORMATIONS

Un article de Bertrand Deladerrière.
Dans Lettre N°21 
Retrouvez l'article et toutes ses illustrations en PDF. 

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